vendredi 30 septembre 2011

Moiroir Miroir


“Toi, je peux vraiment pas te blairer”

Il n’y a qu’une seule personne à qui je peux dire ça. 

Celle qui est là en face de moi, planquée derrière le miroir, et qui me regarde avec ses yeux de merlan. A elle, je peux lui dire, sans sourciller, en la regardant dans le blanc des yeux:

“Je peux vraiment pas te blairer”

ou pas...

Je ne le pense pas tout le temps. Pas tous les jours. Il y a même des fois ou la fille dans le reflet me plaît bien. Il arrive que je la trouve sympa. C’est vrai qu’elle l’est, la plupart du temps. Des fois, elle l’est un peu trop: il lui arrive d’accepter des choses dont elle n’a pas envie juste parce qu’elle a peur de froisser les autres. Elle trouve que c’est ça “être serviable”. Et elle a surtout peur de décevoir les gens si elle dit non, et qu’après ça, ils ne l’aiment plus. Alors elle préfère faire les choses, même s’il lui en coûte, plutôt que de dire non. Moi je trouve ça plutôt lâche, mais c’est plus fort qu’elle. Ça va avec sa manie d’avoir peur de déranger. Elle est du genre à passer trois jours au bord de la mort sans appeler qui que ce soit, pas même un médecin ou les pompiers, parce que ce qui lui arrive n’est pas si grave, que ça va passer, et que c’est pas la peine de déranger ces braves gens pour rien. On est d’accord que ça va loin, mais c’est dans sa nature. N’empêche que la plupart du temps, la fille dans le reflet est plutôt cool avec les autres. 

Parfois, je la trouve marrante. C’est vrai qu’elle a de la répartie, et qu’il lui arrive d’être plutôt bien inspirée. Parfois, elle m’a fait rire. C’est vrai, c’est en général une fille plutôt drôle, même si elle tombe régulièrement à côté de la plaque. Je dirais même qu’il n’est pas rare qu’elle soit carrément lourde. Mais finalement, même si son humour ne passe pas tout le temps et pas avec tout le monde, on pourrait la classer dans la catégorie des gens avec qui on peut passer du bon temps.

Elle n’est pas trop bête. Enfin, la plupart du temps. On peut même la qualifier de fille plutôt intelligente. Ce qui ne veut pas dire qu’elle se serve de son intelligence à bon escient. Elle a quand même un talent assez développé en ce qui concerne la prise de mauvaises décisions. Quand elle a un choix à faire, elle pèse longuement le pour et le contre. Elle arrive à cerner lequel serait le bon, lequel serait le mauvais, et avec assez de justesse. Il n’empêche, à chaque fois, allez savoir pourquoi, elle fait le mauvais. Et en connaissance de cause. Certainement par masochisme. Le bon sens, ce n’est pas ce qui la caractérise. Tout simplement parce que la plupart du temps, elle ne réfléchit pas. Elle se fie à son instinct, bien que depuis le temps, elle devrait savoir qu’il est vraiment de très mauvaise qualité. 
Pourtant, elle est intelligente, puisqu'elle peut faire preuve de créativité, elle peut s’adapter à plein de situations différentes, et que certains de ses raisonnements peuvent susciter de l’intérêt. 

Je la trouve relativement saine. Ses rapports avec les autres sont plutôt simples, même si une quantité non négligeable de personnes décident de ne pas l’aimer sans même avoir cherché à la connaître. Par contre, avec ceux qui l’aiment bien ou ceux qui ne se sont pas encore fait d’opinion, ça se passe pas trop mal. Elle se débrouille en société, et elle manie les codes qui régissent les interactions humaines avec une certaine aisance. Même si parfois son humour (qui à ce moment là doit être difficile à porter) lui fait faire d’énormes bourdes. Elle arrive à dissimuler relativement bien qu’elle déborde de névroses et qu'elle a des casseroles à dissimuler. Ce qui lui donne parfois un petit air suffisant voire condescendant, je l’ai même vu donner des leçons de vie, voire porter des jugements sur la manière dont ses pairs gèrent leur existence. Alors qu’elle ne vaut pas mieux que les autres. J’ai tendance à penser que c’est même plutôt le contraire. 

Il peut m’arriver de la trouver plutôt jolie. Certains jours, la nature semble être de son côté, ses cheveux tombent bien, ses traits sont reposés. Elle peut dégager une image pas trop désagréable. Malheureusement, la plupart du temps, son visage m’irrite. Rien que de le voir me met en colère. J’ai l’impression que rien n’est à sa place. Tout pourrait être harmonieux, mais non. Il y a eu comme un raté quelque part. Quelque chose ne fonctionne pas, quelque chose d’extrêmement irritant. C’est bizarre qu’un visage provoque ce genre de réaction, mais la plupart du temps, quand je vois le sien, j’oscille entre le mépris respectueux et la rage impuissante. Après tout, elle n’y peut rien si elle n’a pas été touchée par la grâce. 

Mais la plupart du temps, la fille du reflet, je la déteste. En général, pour en arriver à détester quelqu’un, il faut que la personne détestée nous ai fait un certain nombres de crasses, ou bien qu’elle aie des défauts rédhibitoires. C’est le cas avec la fille dans le miroir. Elle m’en fait voir de toutes les couleurs. Pas un jour ne se passe sans que j’aie envie de lui mettre un grand coup de pieds aux fesses.
Elle est pétrie de défauts détestables: elle est étourdie, maladroite. Elle est incapable de gérer correctement son esprit et son corps. Résultat des courses, elle casse tout ce qu’elle touche. Et quand elle ne casse pas, elle perd, elle oublie, elle abîme. Elle n’a aucune maîtrise de son corps: elle est toujours entre un choc et une chute. Les mots qui sortent de sa bouche subissent le même sort: elle bafouille, elle bégaie, elle dit des choses sans queue ni tête, alors que dans son esprit, tout était clair. Elle est désorganisée à un point ou ça en est effrayant: tout en elle n’est que désordre. Un champ de bataille miné. Les détails du quotidien sont pour elle des montagnes qu’elle n’arrive pas à franchir: trouver ses clefs, fermer les portes, savoir ou sont son téléphone, ses lunettes, ne pas laisser les fenêtres ouvertes, fermer le gaz, éteindre les lumières, ne pas laisser sa carte bleue dans le distributeur, se rappeler de son code, ne pas se trancher un doigt en coupant le pain… elle est incapable de faire la moindre de ses choses spontanément. Ça fait de ma vie un enfer. 

Elle a la fâcheuse habitude de négliger tout ce qui pour elle n’a pas d’importance. Et ce qu’elle concidère comme n’ayant pas d’importance sont la plupart du temps les choses dont son sort dépend directement. C’est donc elle qu’elle néglige le plus. Elle est complètement infichue d’aller au bout de ses idées et de ses envies. Dès qu’elles sont sur le point de se concrétiser, elle les laisse totalement tomber. Son esprit est un cimetière de projets avortés. Certains n’étaient certes pas viables. D’autres auraient pu très bien fonctionner. Mais voilà, dès qu’elle doit faire preuve d’un peu d’assurance et de confiance en elle, c’est la panique et tout s’écroule. Il lui est arrivé de laisser tomber des choses qui pourtant me tenaient vraiment à coeur. Elle a tellement peur de se planter et de devoir subir le jugement des autres qu’elle préfère encore s’ébrouer dans la médiocrité. On lui a déjà dit qu’elle pourrait faire des choses bien. Mais ça voudrait dire prendre des risque, accepter que les autres la voient se planter, et surtout accepter qu’elle pourrait effectivement s’en sortir. Et ça, il semblerait qu’elle n’en n’ait pas envie. Et surtout, elle se sait bien trop angoissée et paniquée pour avoir le cran de réussir quoi que se soit. Alors elle patauge dans une marre de boue tiédasse, en disant que si elle en est là, c’est la faute de la société et de la crise. Ça lui donne une excuse pour ne pas avoir à se poser les vraies questions et à prendre les bonnes décisions. Et moi ça me donne envie de l’attraper, de la secouer comme un prunier et de lui demander de quel droit elle se comporte comme ça avec moi. Surtout en ce moment. Elle me file des miraines, m'empêche de dormir la nuit, me colle des boules d'angoisse dans le ventre, me provoque des bouffées de colère. 

C’est pour ça que ce matin, quand je l’ai vue, je lui ai dit que je pouvais vraiment pas la blairer, même si dans le fond, je le pense pas vraiment. 
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vendredi 23 septembre 2011

lettre ouverte à l'enflure qui a piqué mon vélo

Chère enflure qui a piqué mon vélo,

Ce matin, je me suis levée d'excellente humeur. J'ai pris mon petit déjeuner d'excellente humeur. J'ai pris ma douche en écoutant les infos d'excellente humeur (ce qui, vu la teneur des infos ce matin, relève de l'exploit). Je me suis habillée d'excellente humeur. J'ai ouvert la porte d'excellente humeur. J'ai baissé les yeux d'excellente humeur. Et là ou aurait dû se trouver mon vélo, je n'ai vu qu'un antivol cisaillé.

j'ai plus de vélo, mais au moins j'ai du vernis à ongles


Tu m'as piqué mon vélo. Tu n'es qu'un enfoiré de batard de merde.

Dans un premier temps, laisse moi te dire que tu n'as pas fait une affaire. La selle tient avec du chatterton. Les poignées son usées jusqu'à la corde. Le panier se casse la figure. Le garde boue avant est cassé. Le plastique qui protège le pédalier est en miettes. Les freins fonctionnent mal. Le dérailleur arrière a un problème. La sonnette est à deux doigts de tomber. Bref, c'est une belle merde que tu as volé, et crois moi, tu n'en tireras pas un centime.

Tu pourrais me rétorquer que c'est pas la peine d'entrer dans le jeu des insultes, puis qu’après tout, tu ne m'as volé qu'un ersatz de vélo et que je n'ai qu'à m'en trouver un autre. Sauf que ce vélo, bien que merdique, c'était le mien. Que j'en avais besoin. Que tu l'as pris. Et que je ne pourrais pas en acheter un autre.

Vois-tu, espèce de rat d'égout, tu as volé ce vélo à un moment très inapproprié. Un moment ou ma bonne humeur matinale tenait du miracle et des délicieux croque-monsieur que m'avait préparé mon amoureux hier soir en essayant de me rassurer sur mon sort. Oui, en volant mon vélo, tu as appuyé très fort sur ma tête alors que j'essayais de sortir le nez dans la fange dans laquelle je me noie depuis quelques temps.

Si tu veux tout savoir, j'ai 26 ans, un bac +5, et des perspectives d'avenir aussi sombres que le fond du trou du cul que tu es. Depuis presque deux ans, j'accumule les CDD qui sont aussi éloignés de mon domaine de compétence que toi tu es prêt à te recevoir mon poing dans ta gueule si un jour je te croise. Aujourd'hui, je dépends quasiment entièrement des aides sociales. Tu sais, celles que le gouvernement qualifie souvent d'assistanat, mais qui ne me donnent même pas aujourd'hui le luxe de me racheter une merde à deux roues d'occase sur le bon coin. Et je cherche du travail. J'ai abandonné l'idée de bosser dans le secteur qui me plait: il n'y a pas d'offres, et les rares que je trouves sont abominablement précaires (et de plus en plus rares: l'Etat, en cette période de crise, a choisi d'arrêter de subventionner ces fameux contrats) et du coup, la concurrence est bien trop rude pour mon curriculum vitae. Alors je cherche à faire de l'alimentaire. Je postule, j'envoie des lettres de motivation et des cv, j'appelle, je relance, je me déplace, je vais à des entretiens. Et quand je me présente, que je parle de mon parcours, on me rit au nez: pourquoi postuler chez nous avec un tel bagage? Vous êtes bien trop qualifiée! Vous recrutez, ce serez dévaloriser votre diplôme. On m'a même dit une fois "j'en ai rien à faire moi de votre bac +5, les intellos, j'en veux pas, allez voir ailleurs si j'y suis". Ces gens là n'ont pas compris que je sais très bien à quoi je postule. Ils n'ont pas compris non plus que celui qui peut le plus peut le moins. Ils n'ont pas compris non plus que j'étais dans un état d'urgence.
Finalement, l'un d'entre eux est conciliant. Il me donne ma chance. C'est un CDD de 4 mois, au smic à mi-temps. Je n'ai pas encore le cul sorti des ronces, mais c'est au moins ça. Du moins je croyais. Sauf que voilà. Suite à un imbroglio administratif, ce job, qui pour moi était acquis, l'est d'un coup beaucoup moins. Tu vois, en moment, je cumule. Et encore, je ne te parle pas des soucis financiers et autres qui accompagnent (logiquement) mes déboires professionnels, ni même de tout le reste.

Et là dessus, toi et ta tenaille vous entrez dans ma vie. Et grâce à vous, ce matin, je me suis retrouvée sur le perron, un antivol cisaillé à la main, et j'ai réalisé que je n'étais plus qu'une jeune fille pessimiste et fauchée de 26 ans, victime de la crise, sans la moindre idée de ce que sera son avenir, contrainte désormais se déplacer à pieds, à cause d'un connard qui n'a rien d'autre à faire de ses nuits que de voler des vélos pourris dont personne d'autre que moi ne pourrait vouloir.

Ridicule voleur de vélo, minable hors la loi, criminel de pacotille, pilleur de faibles, j'imagine que si tu en es à voler des vélos déglingués, ton quotidien ne doit pas valoir mieux que le mien. Toi et moi, on doit en être au même niveau sur l'échelle sociale. On est pas mieux loti l'un que l'autre, même si au départ, j'avais pourtant plus de chances que toi (des diplômes, de l'expérience, un entourage stimulant, des contacts...). Et je crois que c'est pour ça que je suis tellement en colère contre toi. On vit tous les deux dans une société qui ne veut pas de nous et qui nous a mis au même niveau, moi qui aide les mamies à traverser la rue, et toi qui leur pique leurs sacs.

Sur ce, je te souhaite une bonne bourre avec mon vélo. Sache par contre que si un jour je te croise, je te ferai avaler un pédalier.

Almira.





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lundi 5 septembre 2011

Rentrée

C'est la rentrée.

J'ai pas envie d'y aller.

J'ai une boule au ventre.

C'est bête parce que j'adore l'école. C'est pas l'école le problème, c'est les autres. Je serais avec les même qu'en 6ème. Et déjà, ils ne m'aimaient pas.

D'autant que pendant l'été, j'ai changé de lunettes. Et on m'a posé un faux palais en feraille.
On va se foutre de moi comme jamais, je le sais. Je vais en prendre plein la tête.
Je m'emballe peut être pour rien remarque. Autant les autres m'ont oubliée pendant les vacances. Ils se rappellent peut être plus de la fois ou je me suis gaufrée dans la cantine, de la fois ou je me suis pris le ballon de hand au coin de la gueule, et surtout de la fois ou je suis sortie des toilettes avec jupe coincée dans la culotte. Moi en tout cas, tout ça j'aimerai bien l'oublier. Peut être qu'ils ont oublié qu'au tableau, quand je suis face à la classe, ça m'angoisse et je me mets à bégayer en bavant. Peut être qu'ils ne se rappellent plus qu'ils m'appelaient "Pétrolette" pour se foutre de moi. Et qu'à chaque fois, ça me fait pleurer. Avec un peu de chance, ils auront oublié que je suis aussi nulle en sport que bonne en français. A moins qu'ils aient décidé que renifler de l'eau écarlate au fond de la classe d'histoire-géo en me collant des chewing gums dans les cheveux était devenu ringard. Si j'ai de la chance, Jennifer aura déménagé. Ce qui fait qu'elle ne me menacera plus de me filer des baffes si je ne lui fait pas ses devoirs d'anglais. Et peut être que je n'aurais plus Mme Durant en Maths, celle qui avait m'avait collée parce que j'avais laissé Jamel me copier dessus (j'avais pas le choix, il sortait avec Jennifer, c'était ça ou il jetait mon sac à dos à la poubelle). Peut être qu'Aurélien aussi m'aura oublié. Peut être qu'il ne se rappellera plus que je suis allée lui demander s'il voulait sortir avec moi, et qu'il m'a mis le plus gros et douloureux de ma vie: "ça va pas la tête?".

Peut être que je m'angoisse pour rien! Après tout, c'est une nouvelle année. J'ai un nouveau sac à dos. Un Poivre Blanc. Ma trousse elle aussi est toute neuve. Et cette année, j'ai pu choisir moi même mon agenda. J'ai même pu choisir mes vêtements toute seule. Ils sont prêts depuis hier soir sur le lit. Un caleçon beige avec des empiècements en velour marron, un tee-shirt avec un coeur brodé dessus et mes kickers jaunes et orange (je voulais les rouges, mais les oranges étaient bien plus soldées ). Ça ira, c'est  à la mode. Enfin je crois. Ma mère trouve que c'est pas joli. Elle voulait que je mette une robe. Sauf qu'il est hors de question que je mette une robe. Ce serait comme porter une pancarte "jettez moi des cailloux". Elle comprend rien de toute manière.
Hier, elle m'a coupé la frange. Elle est presque droite m'a - elle - dit hier. Le presque m'inquiète un peu, alors je vais mettre du gel, pour pas que ça se voie. Les filles les plus cool du collège, celles qui fument derrière le self mettent du gel, et ça c'est un signe qu'il FAUT mettre du gel sur ma frange. Peut être même que cette année, je fumerai, même si je trouve que ça pue et que cet été, quand j'ai essayé, j'ai vomi. Si ça peut me rendre plus populaire, je suis prête à tout, mais il faudra que je m'entraîne. C'était trop nul l'an d'être considérée comme trop laide de service. Même ma meilleure copine est venue chez moi pour me dire qu'elle préfèrerait qu'on ne se parle pas pendant les heures de classe, parce que ça nuisait à son image. Heureusement, elle était d'accord pour rester ma copine, mais que le mercredi, le week end et pendant les vacances. Mais on sait jamais, peut être que cette année, ce sera mieux...

"Almira, dépêche toi, on y va"

Bon.

Faut que j'y aille.


C'est la rentrée.

J'ai pas envie d'y aller.

J'ai une boule au ventre.
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