mercredi 16 mai 2012

Nullipare

L'autre jour, l'Homme et moi étions invités à un gros pique nique, ou à part nos hôtes, nous ne connaissions pas grand monde.
C'est pas grave me suis-je dit alors. Je suis du genre sociale, je finirai bien par sympathiser avec quelqu'un. L'Homme a confirmé: lui aussi est du genre social. Lui a choisi de passer par le foot. Moi, vu mon aversion pour les ballons et mon manque flagrant de coordination, j'ai choisi quelque chose de plus dans mes cordes. La discussion. Confiante, je me suis rapprochée du groupe de femmes qui regardaient leurs hommes jouer au ballon.

Arrivées tout près d'elles, j'ai tout d'abord constaté qu'elles ne regardaient pas le match pourtant passionnant qui se déroulait sous leur yeux. Très bien, ça nous fait un premier point commun: on aime pas les jeux de ballons. Je pourrais briser la glace en leur expliquant que mon incapacité à viser et à me mouvoir rapidement fait qu'en règle générale, je termine à gésir sur le dos avec le nez en sang. En me rapprochant un peu plus d'elles, j'ai noté qu'elles avaient toutes accroché à leurs seins, leurs cheveux ou leurs cuisse, un enfant en bas-âge. Super, j'adore les enfants, tant que ça pue pas, que ça crie pas, que c'est pas sale, que ça vomit pas, que ça pleure pas, que ça bave pas ou que ça fait pas sa loi. Merde, je déteste les enfants. C'est pas grave, les enfants, c'est chiant, mais c'est mignon. Et c'est une belle manière de s'intégrer dans un groupe.

" oh, il est mignon ce petit garçon! ah... c'est une fille? Pardon, c'est les croutes de vomi séché qu'elle a autour de la bouche, j'ai cru que c'était une moustache... Sinon, vous savez, je ne joue pas au foot parce que mon incapacité à viser et à me mouvoir rapidement fait qu'en règle générale, je termine à gésir sur le dos avec le nez en sang, c'est marrant, hein?"

Facile

Je me suis assise auprès d'elles. Et là, avant même que je n'ouvre la bouche, mes oreilles se sont emplies de pots, de couches, de crèches, de nounous, de césariennes, de renvois, de pédiatres, de compotes en tubes, de nuits blanches, de montées de lait, de maitresses, de petits pots, de grenouillères. Le tout agrémenté de ballons, petshops, poupées, de genoux écorchés, de dents qui poussent, et de gazouillis suraigus et régressifs.
Ah.
Et rien d'autre?
Les garçons qui jouent au foot? Le printemps qui ne vient pas? La montée du FN? Les vernis Essie? La sélection officielle du festival de Cannes? La sodomie?
Non?
Non.

Je ne m'étais pas assise au milieu d'un groupe de femmes comme je l'ai d'abord cru, mais au milieu d'un groupe de Mères. Avec une majuscule. De celles qui ont pris le parti de décider qu'aucune vie n'est possible au delà de leur moutard. Elles sont nées pour enfanter. Elles s'accomplissent maintenant dans les couches sales, les terreurs nocturnes et les réunions parents-prof. Plus rien d'autre ne compte que le bout de chair qui ne cesse de grandir et qu'elles ont un beau jour expulsé à grands cris de leur utérus. Leur vie d'avant ne semble avoir de sens uniquement parce que c'est ce qui les a conduit à construire le nid dans lequel elles se lovent aujourd'hui avec délectation. Elles ont atteint la félicité, et n’acceptent autour d'elles que celles qui confessent être en phase de nidification.
- Et toi, t'as des enfants? m'a demandé l'une d'elles
- Non.
- Bientôt alors, pas vrai?
- Heu... C'est pas encore prévu au programme. Mais oui, un jour, certainement...
- Ah.

Un "Ah" plein de mépris, qui a soldé toute tentative de connexion. Je suis de celles qui n'ont pas vu la lumière. Qui n'ont pas encore compris que le corps de la femme n'était qu'une matrice dont l'unique dessein est de produire et de devenir esclave du produit.

Un "Ah" qui a fait défiler toute ma vie devant mes yeux. Les poupées que je changeais, les Barbie à poussette, mon aspirateur en plastique, mes longs cheveux, mes robes roses. Les carnets que je noircissais de dessins de robes de mariée. Les projections sur mes premiers amoureux. Et l'ex qui m'a dit "j'aurais dû te faire un enfant, tu ne serais pas partie". Les copines jeunes mamans qui appuient un clin d’œil "c'est bientôt ton tour". Le sourire niais et béat qui barre mon visage et vide mon cerveau de ses aspirations quand de tous petits doigts serrent mon index. Merde. Moi aussi je suis programmée. Il semblerait qu'on ne puisse pas y couper. Et ça me fait peur. 

Pourtant, je jure, je veux des enfants. Mais pas comme ça. Non, ce n'est pas incompatible avec la lecture de Beauvoir. Je pense juste que ma vie, mes envies, mes projets ne s'arrêteront pas le jour ou mon test de grossesse sera positif. Faire des enfants ne sera pas la fin d'une chose et le début d'une autre. Ce sera une nouvelle branche, qui s’ajoutera aux autres pour former une métaphore arboricole digne d'une tête de gondole du rayon développement personnel de la FNAC.

 Faites moi penser à relire ça le jour ou je vous apprendrai que moi aussi j'ai été fécondée.





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14 commentaires:

  1. promis je t'y ferai penser. j'ai tellement entendu mes copines dire "mais non, ça ne changera rien à ma vie" et qui maintenant programme leur vie en fonction de leurs rejetons si parfaits à leurs yeux (tellement parfaits que je traine les pieds pour aller les voir quand je sais que les gamins seront là). je ne veux pas être mère.

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    1. dire que ça changera rien c'est hyppocrite, bien sur que ça change. C'est évident, mais si ça me change au point ou je m'oublie, ça m’intéresse pas.

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  2. Quand on a pas de passion dans la vie et qu'on est pas sûr de garder son partenaire, on fait un enfant.

    Ça occupe encore plus qu'un chat!

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  3. Arrête, c'est mon angoisse ! (enfin juste après le comment tu fais sortir un truc énorme par un si petit trou et comment je fais pour avoir une vie sexuelle après)
    Un jour j'aurai des enfants, mais j'ai encore le temps, et surtout j'espère ne jamais devenir une Mère... mère déjà c'est bien.

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    1. j'en demande pas plus. On est parfaitement capables d'êtres multiples, hors de question que je vende mon âme à ce qui sortira de mon ventre

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  4. j'me permets un lol.
    m'enfin moi tsé chuis une pure mère indigne ignoble, hein, et si je devais te conseiller le plus honnêtement du monde je plaiderais pour l'hystérectomie.
    :)

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    1. hystérectomie, ça me rappelle à quel point Freud était un fieffé macho, et que si on en est là aujourd'hui, ben c'est un peu de sa faute.

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    2. c'est pas faux non plus, ceci dit pour Freud comme pour tous les autres, maman était tellement plus facile à attaquer que papa, hein...
      ;)
      (blague à part, si elles se réfugient tant dans cette apparente passion pour leurs mioches c'est souvent parce qu'elles n'ont pas le choix, la naissance de l'enfant les ayant en effet condamnées à rester sur le bord du terrain pendant que les mecs jouent à la baballe...)

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    3. elles peuvent aussi confier l'enfant au père le temps d'une mi-temps, non?

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  5. Voilà pourquoi les discussions de mes collègues m'ennuient profondément et que je fuis les pauses café. En plus, je n'aime pas le café.

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  6. J'imagine que toute ressemblance avec des personnes connues est totalement fortuite

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  7. Superbe post!
    Et moi maman de deux enfants qui a repris le boulot, je cherche bien souvent dans mon entourage la compagnie de femme qui parlent vernis, produits de beauté, cuisine, littérature, cinéma, potins autour d'un bon plat, au resto, à deux!
    Le plus frustrant? avoir aussi un mal de chien à discuter de politique (je parle de discussion pas de communication!) avec l'Epoux! on doit prendre RV hors de la maison!:!
    (mais je suis aussi celle qui "nichonne" encore le petit dernier, qui se complait à la gagatitude force mille!"

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