jeudi 26 juillet 2012

Message Capital

Bonjour.

Je me présente.

Je m'appelle Almira, je n'aurais jamais 30 ans, et je vis en province.

Oui, en province. En Provence même. Je vis au pays des cigales et du pastis. Je vis au pays du "putain" et de "l'encatané". Je vis au pays des platanes qui surplombent les terrasses de café et de l'apéro aux olives. Ca a toujours été le cas. Depuis ma naissance. Et j'espère que ça durera encore quelque temps.

Vivre dans ma région n'est pas chose facile. C'est presque devenu une conviction personnelle, un acte de militantisme. Pourquoi? Parce que chez moi, il n'y a pas de travail. Je le sais, j'ai cherché. Il devait en rester un qui traînait, alors je l'ai pris. C'est pas forcément celui qui me va le mieux, mais je sais que je peux m'estimer heureuse. Le travail, chez moi, ça se résume à des emplois saisonniers ou des métiers de bouche. Tu peux éventuellement tenter le bâtiment, surtout si tu sais comment t'y prendre pour retaper une vielle bâtisse. Tu peux aussi te lancer dans une carrière d'ouvrier agricole si tu veux. Pour le reste... c'est plus compliqué. Pourtant, le métier que je veux exercer, il se trouve au beau milieu de ce reste, frétillant comme un goujon au milieu des métiers de la com et du culturel. Pourtant, le métier que je veux exercer, je peux l'exercer de n'importe ou. Du moment que j'ai les compétences (je les ai), le wifi (ça aussi je l'ai), et un moyen simple et efficace de monter à la capitale (je peux être à Paris en quatre heures chrono, moyennant la vente d'un rein et d'une partie de mon foie). La décentralisation. J'en ai les côtes douloureuses tellement je ris.

Chez moi, tous les mois de juillet, se déroule deux festivals de théâtre simultanément. Ca fait un monde fou dans mes petites rues médiévales où le reste de l'année, il n'y a personne pour voir que j'ai coincé mon talon entre deux pavés. Et en même temps que ces milliers d'affiches de plus en plus laides au fil des ans, c'est une cohorte de gens du spectacle et d'amateurs de théâtre qui viennent s'installer chez moi.  Attention, ne vous méprenez pas. J'adore le Festival. J'adore voir tous ses gens qui d'habitude ne mettent jamais leurs pieds dans un lieu de culture enchaîner les pièces. J'adore me peler les miches dans la cour d'honneur un soir de grand mistral. J'adore me faire apostropher dans la rue par un type qui veut me parler de sa version de tel ou tel texte. J'adore rire des jeunes tracteurs qui, pour me vendre leur spectacle me disent "c'est bien, ça parle de l'amour et de la mort".

Parmi tous ces gens de spectacle, beaucoup viennent de Paris. C'est inévitable, puisqu'il semblerait qu'en dehors de la capitale, il soit bien plus difficile de vivre de la culture. Il m'arrive même de penser parfois (surtout dans le IN) que le festival d'Avignon s'est contenté de déplacer un morceau de la capitale pour le mettre dans la cour du Lycée St Joseph. Ce n'est pas une critique, juste un constat, qui à mon avis, piquerait un peu les yeux de Jean Vilar.

un porte-clefs, c'est capital. 


L'autre soir, j'ai rencontré l'un de ces gens de spectacle. Un ingénieur du son. Les bras m'en sont tombés.

Ingénieur du son: Ah là là, que j'en ai marre, ce que j'ai hâte de rentrer!

Almira: Ah ben oui, je comprends, le festival, c'est crevant quand même, non?

IS: Ah, non, ça ça va encore, j'ai l'habitude, ça fait partie du job!

A: Alors pourquoi t'en a marre?

IS: C'est cette région... Regarde moi ça... que des ploucs. Un truc de dingue.

A: Pardon?

IS: Non mais faut être réaliste, mis à part le festival, il y a rien ici. Rien, rien, rien. Que des ploucs. Ils font quoi les gens ici d'Août à Juin? Ils hibernent? Ha ha ha! Je les vois d'ici, aller s'acheter de beaux habits du dimanche pour aller au spectacle, la seule sortie de l'année. Et encore, pour aller voir Ma Femme me prend pour un sextoy. Tu vois de quel spectacle je parle? Les types qui tractent déguisés en banane? Je payerai cher pour voir un mec d'ici faire la queue à la cour d'honneur. Et les filles du coin. Faut les voir! Vulgaires et incultes. Par contre, pour niquer, c'est un bonheur. Tu leur dit que tu viens de Paris, elles ont déjà la culotte aux genoux. Ha ha ha! Ca, je m'en suis tapé de l'avignonnaise!

A: Tu rigoles là j'espère?

IS: Ben non je rigole pas. On voit bien que tu connais pas ici toi. Moi ça fait quelques festivals que je fais, je commence à bien les connaître les gens du cru. Putain, même les taxis c'est des connards. L'autre jour, j'ai voulu en prendre un, et le con, il me dit "Wo putaingue, moi, j'en fait pas des courseuh pour moinsse de dix euros, hé!"

A (ramassant sa mâchoire inférieure gisant sur le sol): C'est vrai qu'à Paris, les taxis sont tellement réputés pour être serviables et gentils.

IS: C'est vrai, mais merde quoi! Je venais d'arriver, j'avais mes valises! Quel connard, je te jure!

A: Certes, mais son attitude est inhérente à sa condition de chauffeur de taxi plus qu'à sa condition de provençal, tu crois pas?

IS: Non. Tous les gens d'ici sont comme ça...

A: T'en a pas marre de ce parisianisme de base? Tu sais Paris, c'est pas le centre du monde, il se passe des choses ailleurs!

IS: C'est pas du parisianisme! C'est des faits! Bref, je m'en fiche, je repars demain. Bon et sinon, toi tu vis ou?

A: Vers là bas, à 200m d'ici.

IS: ... Oh merde. Tu vis ici? Mais qu'est ce qui t'a pris de venir t'enterrer dans ce coin paumé là! Ca va pas là tête? Paris c'est tellement mieux. A paris, on peut aller au musée, au théâtre, au cinéma...

A: Tu sais, ici, on a deux très belles salles d'art et essai, une superbe collection d'art contemporain, et une offre en terme de théâtre super intéressante. On a aussi des salles de concert. Et ah oui, j'oubliais: le loyer de ma maison est égal au loyer de ton garage.

IS: Oh, genre, l'autre... N'empêche, toute l'année, tu te coltines que les gros beaufs du coin. Mais d'où tu viens pour t'enterrer ici? C'est dingue ça quand même, une fille comme toi!

A: Je suis née là. Comme mon père. Comme ma grand mère. Comme mes arrières grand parents, et comme leurs parents. Et je sais lire, j'ai fait des études, je vais au théâtre, et tu vois, ma culotte est toujours bien rangée dans mon short. Pourtant, j'ai bien compris que tu étais parisien.

IS (devenu aussi blanc soudainement qu'un parisien d'ayant pas vu le soleil depuis le mois de mars): ...  Oui, mais toi... toi c'est pas pareil. Puis tu sais, je rigolais, hein!

Tu rigolais, bien sûr. Cher ingénieur du son, tu mériterais que je te badigeonne de miel de lavande et que je t'abandonne en pleine cagne, au son des cigales, livré en pâture aux abeilles.


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16 commentaires:

  1. heureusement j'étais pas là! je lui aurait fait mettre son slip sur les genoux...

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    1. ... et tu aurais été digne des ploucs dont il se moque. J'ai préféré lui montré que oui, on pouvait être né en PACA et être digne. :)

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  3. Je parie en plus que ce type est né dans un coin de France et qu'il est parti gérer sa frustration dans l'anonymat parisien. J'en ai connu plein des comme ça, notamment dans le milieu de la culture.

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    1. après enquête, il est génétiquement l'un de ses ploucs sur lequel il crache (il a même dû bosser très fort pour cacher son accent, j'y ai vu que du feu)

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  4. C'est drôle, parce qu'en bonne Parisienne d'adoption, je donnerais un bras pour retourner m'installer dans ma province (mais simplement dans une ville plus grande que la mienne), et j'ai failli, le temps d'un CDD, mais... 1. j'avais une offre plus cool à Paris ; 2. avec un CDD dans la culture en province, on se pose effectivement la question de la pérennité de son installation sur place si on veut continuer dans le milieu.
    Le truc, c'est que dans la culture à Paris, on n'a pas le droit de dire que la province, c'est bien, si ? Et pourtant, venant d'une grande (mais pas trop) ville nichée au coeur d'une région Confessions Intimes-approved, j'ai eu envie de bosser dans ce milieu parce que j'avais dans un rayon de 500 m de chez moi une bonne médiathèque, un musée sublime, une scène nationale et un conservatoire de bon niveau. D'ailleurs, j'ai une copine, diplômée de ce conservatoire, qui gagne sa vie en faisant de l'orgue et du clavecin, qui est restée dans notre province et bouge pour les tournées.

    Et puis en passant un weekend prolongé à Avignon, en gros, j'ai pensé : "Mais qu'est-ce qu'on fout à Paris ?" Il fait beau, tout est moins cher, on a accès à une offre culturelle dont on n'entend jamais parler à Paris (parce qu'en gros, quand tu habites en province, que tu t'intéresses un peu au bouzin et que tu as des sous, tu finiras tôt ou tard par te bouger pour faire les grosses expos parisiennes, alors que si tu habites à Paris, les belles expos de province, tu n'en entendras jamais parler si tu ne les cherche pas)(je suis dégoûtée de ne pas avoir eu le temps de faire la collection Lambert, d'ailleurs, but I'll be back).

    Qu'il retourne dans sa province, et après 10 jours à regretter la richesse de l'offre culturelle parisienne (dont il n'a de toute façon pas le temps de tout voir), il se rendra peut-être compte que quand on veut, on trouve.
    Et des bouseux, il y en a partout.

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    1. D'autant que pardon petit parisien, mais cette offre culturelle pléthorique, est ce que tu en profite vraiment? L'abondance de l'offre, le coût de la vie, le rythme de vie parisien: je suis sure que j'ai autant de pratiques culturelles que toi...

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  5. C'est le genre de snobisme à 2frs qui me révulse. C'est même du racisme, un racisme envers des gens dont on ignore tout, en se fondant sur ds clichés de merde... Bref, tu as eu de la répartie, bravo :)

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  6. Bof je pense que c'était surtout un pauvre type ... comme il en a certains à Paris. J'ai entendu le même genre de discours d'une parisienne qui avait tenté de s'installer à Montréal, c'était supposément un désert culturel alors qu'on a un opéra, un orchestre symphonique, des galeries d'art, un musée d'art moderne, un des beaux-arts ...

    Bref c'est des gens qui veulent s'enfermer dans leur petite coquille et refusent de découvrir autre chose vaut mieux ne pas perdre de temps avec eux!

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  7. je l'aurais frappe avec plaisir ! J'adore comment tu l'as rembarre ce plouc!

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  8. Ah bah bravo ... tu as fait bouillir en moi mes racines avignonnaise. Je crois que je n'aurais pas su rester calme ! Incroyable cette petitesse d'esprit (le pire c'est que ça ne me surprends pas, c'est blasant quoi. ça ne change pas) En tout cas, sale mentalité. Que des jaloux, au fond.

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  9. ah tu vois, je suis de nimes, je vis a Paris, et des connards de ce genre je me les coltine tous jours...et ce n'est pas une legende..ils croient vraiment qu'en dehors de paris intra muros, il n'y a que des ploucs....

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  10. quand je vous dis que les français sont globalement racistes et droitards, hein...
    le réflexe du parisien bobo de gogoche qui se la pète cultureux? un pur réflexe rejetant raciste de base.
    le réflexe du breton bretonnant de souche? "ici il ne pleut que sur les cons", réflexe rejetant raciste communautariste de base.
    va dans le sud ouest pour voir? les catalans ça vaut les corses en matière d'identité régionale...
    essaye l'alsace? j'en connais une chiée des "pas de souche pas techniquement de la bonne couleur" qui en sont revenus.
    c'est partout.
    les dirigeants couinent à la mobilité mais la vérité c'est que si tr'es pas un enfant du pays, et encore, pas celui de n'importe qui, tu peux crever, où que t'ailles.
    mais hé, attends, on est des gens bien, allons, on a un président de gauche!
    mais lol.

    je m'appelle erhbd et je ne peux absolument plus blairer mes concitoyens, je vis terrée et je ne côtoie plus qu'un total de 4 humains, à dose homéopathique, j'ai honte de mon pays, honte de sa mentalité de connards, honte de ses services sociaux qui ne sont plus que des surveillants de prisons sociales dont les aides se résument à du cantinage d'urgence au meilleur des cas, honte de ce réflexe de solidarité qui ne se développe pas alors que nous vivons une guerre économique terrifiante et que la liste des victimes s'allonge tous les jours.
    bref.

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  11. haha! alors ce post me fait bien rire!
    pour avoir habiter en région parisienne (certes pas Dans paris intra muros..mais qui a envie de payer un placard 1000 e/mois??) et en province, je ne retournerais en region parisienne pour rien au monde!!
    et pour avoir eu ce meme genre de pensée que ton ingé du son vers 20 ans(, je suis bien heureuse d'en etre sortie et de voir que la vie ailleurs est mille fois mieux!

    ceci dit je vois dans son rejet des provinciaux et ses préjugés, un peu les memes que les tiens dans ton dernier post sur les mecs (dans ce fameux dernier paragraphe...) :o)

    a bas les idées pre concues et laissons un peu de chance aux gens! :o)

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